Les Echos
Credit, Eléonore Théry
Dry January: la nouvelle jeunesse des boissons sans alcool
Depuis Canada Dry, les boissons à degré zéro ont largement évolué, adoptant le look, les saveurs et les codes des concurrents alcoolisés. Un marché florissant porté par de nouvelles habitudes de consommation. A consommer sans modération au moment du Dry January.
C'est l'heure de prendre un verre. Mais est-il raisonnable de lever le coude... Depuis quelques années, des millions d'audacieux à travers le monde s'engagent dans un défi de haute volée lancé par l'association de prévention britannique Alcohol Change UK en 2013 : Dry January, ou l'engagement de rester sobre pendant tout le mois de janvier. Le défi est assez simple : il suffit de se servir une boisson qui ressemble et a le goût de l'alcool mais qui n'en contient pas une goutte.
Entre l'amertume d'une Brewdog Nanny State IPA, la fraîcheur d'un vin mousseux bio French Bloom ou le goût estival du spritz Lyre, le choix ne manque pas. La liste de ces boissons garanties sans gueule de bois ne cesse de s'allonger, des grands groupes - William Grant & Sons, Martini & Rossi, Pernod Ricard... - aux nouvelles marques indépendantes, des bières aux spiritueux, des bars branchés aux supermarchés.
Près de 40% des Français en consomment de temps en temps, et 9% d'entre eux au moins une fois par semaine, selon une étude Ifop / Heineken publiée début janvier. Et le marché affiche une croissance folle : 20% entre 2017 et 2018 et 30% l'année suivante (IWSR). Au niveau mondial, la catégorie devrait croître de plus de 30% au sein du marché des boissons d'ici 2024.
Une nouvelle désirabilité
Pourtant, l'idée n'est pas nouvelle. Dès les années 1970 et 1980, une première vague d'apéritifs sans alcool est apparue et a connu un petit succès : Canada Dry ("Doré comme de l'alcool, son nom sonne comme un nom d'alcool... mais ce n'est pas de l'alcool"), puis Panach ou Buckler du côté des bières, la Pacific anisée ou l'inoubliable Mister Cocktail du côté des apéritifs. Mais bien souvent, tremper ses lèvres dans ces boissons relevait plus de la contrainte, voire de la punition, que du plaisir, car le goût n'y était pas vraiment. Pire, ces boissons étaient rapidement qualifiées de ringardes par ceux qui les essayaient.
French Bloom, une boisson gazeuse bioMALO
"Dans les années 2000 à 2010, c'était un marché plutôt vieillissant, en déclin, qui souffrait d'une mauvaise image auprès des consommateurs", résume Antoine Susini, directeur marketing d'Heineken France. C'était avant qu'il ne trouve un nouveau souffle - à travers les bières d'abord - et ne se construise une image plus désirable et festive. Parmi les pionniers de ce renouveau, Seedlip, fondée par l'Anglais Ben Branson en 2015, dont le mélange aromatique de piment de la Jamaïque, de cardamome, d'écorce et de zeste de citron est désormais siroté dans les bars du monde entier.
Une stratégie pour déculpabiliser les gens.
Entre-temps, le vent a tourné. La santé n'est plus seulement dans l'arène des politiques publiques, elle est au cœur des préoccupations des consommateurs, notamment des millennials, qui ont fait du bien-être un nouveau gourou." Aujourd'hui, on fait de plus en plus attention à ce que l'on consomme : on privilégie le bio, le local... Jusqu'à présent, le phénomène concernait peu les boissons. Maintenant, les gens commencent à faire autant attention à leur verre qu'à leur assiette", observe Marion Lebeau, cofondatrice de l'apéritif Osco - une idée qu'elle a eue lorsqu'elle était enceinte et trouvait l'offre inadaptée : trop sucrée, artificielle et pas très festive.
Si la France se classe toujours au troisième rang des 38 pays de l'OCDE qui boivent le plus, une série de nouveaux mots importés de Grande-Bretagne sont venus décrire cette tendance : le slow drinking, qui préfère la dégustation au binge drinking jusqu'à la soif, ou le nolo, qui fait référence à l'abstinence (pas d'alcool) ou à la modération (faible taux d'alcool par volume).
Dry London Spirit, le gin sans alcool de Lyre'sDR
"Depuis les années 1960, on assiste à une baisse structurelle de la consommation d'alcool, notamment chez les jeunes. Les gens boivent moins mais des boissons de meilleure qualité", explique Benoît Heilbrunn, professeur de marketing à l'ESCP. Le phénomène de modération s'inscrit également dans la sacralisation croissante de l'apéritif, renforcée par les différents confinements.
"L'heure du cocktail est de plus en plus longue, car les repas sont de moins en moins structurés et la frontière avec le dîner est de moins en moins nette. Et pour faire durer ce moment, on réduit le degré d'alcool", poursuit le spécialiste, qui avance une raison plus profonde à ce succès, "une stratégie de déculpabilisation, dans une culture influencée par l'histoire judéo-chrétienne".
En d'autres termes, un moyen de se donner bonne conscience...
Un soin apporté à l'emballage
Pour ces nouvelles boissons tendance, tout l'art consiste à imiter les codes des spiritueux classiques, depuis leurs saveurs, dont une amertume caractéristique, jusqu'au packaging. Lyre's, lancé en 2019 et qui fête aujourd'hui sa millionième bouteille vendue, est passé maître dans cet art. La marque australienne propose tous les spiritueux les plus populaires, du gin au whisky, du rhum à l'amaretto, dans des bouteilles au design épuré qui rappellent les grandes heures du cocktail. "Vos papilles sont habituées à certaines saveurs, comme le spritz en France. Il s'agit de ne pas les abandonner", explique le fondateur Mark Livings.
Osco, l'apéritif à 0° créé par les Françaises Laura Falque et Marion Lebeau. Jeune start-up française, Osco a choisi une voie différente : "Nous ne voulions pas être une copie d'un alcool existant, l'enjeu étant de ne pas passer pour un jus ou un soda. Nous avons opté pour un goût prononcé et une amertume avec une belle longueur en bouche", décrit Marion Lebeau. Son secret de fabrication ? Le verjus, un jus de raisin vert récolté à la main avant maturation, associé à des plantes aromatiques.
Casse-tête
Une parade astucieuse, car l'élaboration technique de ces boissons est un véritable casse-tête qui repose sur des innovations techniques astucieuses. Certains font disparaître l'alcool, comme Heineken, qui chauffe sa bière à basse température après le brassage, pour l'évaporer tout en préservant les saveurs.
"Nous avons investi 6 millions d'euros en 2019 dans notre brasserie alsacienne pour installer la technologie 0,0 sur une ligne dédiée. Ainsi, toutes nos références à 0% d'alcool sont désormais "made in France" dit Antoine Susini.
Lyre's s'appuie sur " une méthode scientifique d'avant-garde ", précise son fondateur. Le procédé consiste à isoler trois molécules, les essences, les extraits et le distillat, puis à les mélanger dans de l'éthanol à base d'eau, avant d'y ajouter des arômes naturels.
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"Certaines saveurs sont particulièrement compliquées à recréer, le côté fumé du whisky par exemple. Une autre difficulté est la texture : la sensation légèrement visqueuse en bouche. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point. L'idée, encore une fois, est d'avoir la sensation de boire de l'alcool. Ses créations rencontrent le succès auprès de trois profils : les seniors et les personnes interdites d'alcool pour des raisons médicales ou religieuses, les jeunes, soucieux de bien-être, et la génération des quadragénaires, qui essaient de modérer leur consommation.
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